Montaigne, où es-tu ?

Je vous livre, tel quel, le texte ci-dessous, transmis par une amie (Yolande, la maman de Maxime). A la mémoire de Maxime, décédé du cancer en pleine jeunesse (23 ans), probablement en partie à cause de trop de pression.

A Maxime, Julien, Anne-Sophie, Margaux et les autres…

C’est une mère en colère qui prend la plume ce jour.

Une mère qui, in illo tempore, fut formée en Sciences humaines à l’Université de Liège, en garde un souvenir ébloui mais se désole de constater ce qu’il s’y passe aujourd’hui. Surtout dans certaines facultés dispensant ce que l’on nomme les sciences “exactes” dites aussi “dures”… A ce ce dernier qualificatif, je préfèrerais le vocable d’ “inhumaines” pour mieux les opposer à celles dans lesquelles ma jeunesse a baigné.

Je suis en colère en effet! En colère contre un certain univers universitaire qui malmène, use et démotive nos enfants! Au coeur de la session d’examens, je constate avec effroi l’état d’épuisement dans lequel se trouvent nos étudiants.

Epuisement physique, d’abord, car l’étude intensive a repris aux premiers jours de mars alors même qu’un tout petit mois s’était écoulé depuis la fin de la session de janvier. Impossible de récupérer dans ces conditions d’autant que les horaires de cours en semaine laissent nos jeunes exténués en fin de journée. Et pour bien nous les achever, le blocus a été réduit à une semaine quand il n’a pas été tout simplement supprimé!

Epuisement psychologique, ensuite, car le rythme effréné des examens, avec toute la pression qu’ils génèrent, est insoutenable : trois à quatre par semaine, parfois; et souvent programmés en fin de journée (jusqu’à 22h). A quand les nocturnes à l’Université ? Nos jeunes auraient tellement besoin d’un sommeil réparateur qu’ils n’arrivent pas à trouver tant le stress, à ce rythme-là, est impossible à évacuer… Alors certains cherchent à juguler l’anxiété avec des moyens qu’aucun professeur en médecine ne conseillerait.

Epuisement intellectuel enfin face à l’asburdité de certains questionnaires dits “à choix multiple” où les questions portent parfois sur un détail masqué par cinq cents pages de théorie, sans parler de la formulation qui prête souvent à confusion… et j’ose à peine évoquer l’absurdité qui consiste à contrôler, à l’aide d’un tel dispositif, des compétences en chirurgie. Je ne voudrais pas être le patient qui subira les coups d’un scalpel formé par QCM!

Permettez-moi donc de m’indigner (même si ce mot semble parfois galvaudé!).

Je m’indigne contre ces professeurs hyperspécialisés dont je ne dénie pas les compétences mais dont je conteste les exigences car chacun attend, pour son domaine, qu’un étudiant maîtrise une discipline que lui-même a mis, met ou mettra une carrière entière à s’approprier. Cumulez les cours et imaginez les effets…

Je m’insurge contre ces dispositifs d’évaluation qui ne permettent en aucun cas à l’étudiant de réfléchir, de mettre en lien, d’expliciter son raisonnement… bref, de montrer l’intelligence qu’il a d’un problème et sa faculté de le résoudre par une approche complexe. “Une tête bien faite signifie que plutôt que d’accumuler le savoir, il est beaucoup plus important de disposer à la fois d’une aptitude générale à poser et à traiter des problèmes ainsi que de principes organisateurs qui permettent de relier les savoirs et de leur donner sens” (E. Morin, La tête bien faite, Seuil, 1999, p.23). L’Université se donne-t-elle les moyens de sélectionner ces têtes-là ?

Enfin, je peste contre ces formations longues qui, en faisant enfler et durer l’approche abstraite des savoirs, tardent à mettre en place la formation d’un praticien réflexif. Au point qu’au seuil de la sortie (un des mes enfants se trouve en avant-dernière année d’une de ces formations), certains s’interrogent sur le goût et la motivation qu’il leur reste pour exercer ce métier auquel ils se destinaient.

A l’heure où, à la suite de Montaigne, des experts comme Serres ou Morin clament l’urgence de former des têtes bien faites pour relever les nombreux défis de demain, j’invite l’Université à questionner ses modèles de formation et d’évaluation. Je plaide aussi pour plus de sens, de complexité (de complexus : ce qui est tissé ensemble) et plus de respect. Enfin, j’en appelle à ce que l’Institution universitaire, pour qui j’eus tant d’estime autrefois, veille à insuffler dans la culture et la formation scientifiques un peu plus d’humanisme, et surtout d’humanité!

Françoise Darville

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